Le premier chemin que l’on emprunte, le plus simple, qui se donne à lire sans attendre, c’est celui du temps et de l’espace. Les projets de Sylvaine Achernar dessinent, comme des balises, un itinéraire photographique et une cartographie de déplacements. Au loin, au faîte du monde, à l’extrême Nord de l’Europe. Vers les îles, au bout du Sud. Au plus près, à Paris, en Bretagne, là où l’on est chez soi. Les lieux servent aussi à éprouver le temps, comme l’Italie sillonnée pour en frotter l’espace et faire surgir la mémoire.


Le travail de Sylvaine Achernar pourrait se dire ainsi, par des mots simples qui rendraient justice à son talent. On y prendrait aussi le temps de louer une technique virtuose qui sert l’image avec humilité, tant elle sait masquer avec élégance sa complexité, son inventivité née dans l’espace clos du laboratoire. Mais dérouler ainsi ce travail, saluer l’artisan en son atelier, oublierait l’essentiel : une manière de voir et de regarder le monde. Une œuvre, en quelque sorte, écrite au ras du sol, à fleur de peau, par fragments, et qui se joue des échelles. Approcher au plus près les visages et les corps, pour dire des mondes au grand large ; entrelacer le net et le flou pour rendre compte, dans l’image, de cette tension.


Cette approche permet de proposer une autre lecture du travail de Sylvaine Achernar. Au-dedans, au dehors ; le visible, l’invisible ; la surface fragile des corps et les profondeurs de l’intime ; les traces patiemment mises à nu et l’absence, la disparition, rendues sensibles par le travail de révélation de la photographie. Ce subtil jeu de miroirs n’est jamais violence ou brutalité. Il ne divise pas. Il dit plutôt l’incertitude, le brouillage des temps et des lieux, la nécessité de recoudre, comme dans la très belle série « Corps et âmes » autour des cicatrices. Ces images-là relient, dans le même mouvement, la rupture, la brisure et la nécessité de réparer. Elles le font avec une infinie délicatesse, sans jamais être mièvres. L’univers de Sylvaine Achernar redessine un monde profondément humain, fraternel, souvent tenu par des combattantes anonymes et debout - Esmeralda, Vita. Un monde, on le devine, qui construit, en creux, un autoportrait de la photographe.

Marianne Amar, historienne (2022)