Rencontre avec Sylvaine Achernar, photographe

 

Dans le cadre du Mois "off" de la photographie, Sylvaine Achernar, jeune photographe autodidacte, expose ses œuvres récentes qu'elle rassemble en trois séries : "Tête à tête", "Noir d'encre", "Fragments de vide". Un "moi" de la photo pas comme les autres qui révèle des histoires intimes, témoin de la sensibilité de l'auteur. L'interview porte sur les relations entre un père et sa fille, thème de la première série. Une rencontre émouvante pour une artiste dont la personnalité restera secrète puisque le propos est ailleurs : s'évoquer à travers les autres, et ne pas parler - ouvertement - de soi.

 

Le Monde

Publié le 12 novembre 2002 à 11h26

 

Quelle fut l'origine du projet et pourquoi avoir choisi le thème du père ?
J'ai l'habitude de travailler sur des thèmes ou des questionnements qui me sont personnels mais qui peuvent parler de façon différente à chacun. L'origine de ce projet fut une question de Luc Choquer : pourquoi faites-vous de la photographie ? Oui, pourquoi. Peut-être pour laisser une trace derrière moi, et une trace laissée par ceux d'avant... Alors, j'ai fait des photos que je ne pourrais jamais faire avec mon propre père, et surtout laissé la place aux vivants. Ces images de pères sont comme des représentations.

Comment se sont passées les prises de vue et comment avez-vous procédé pour trouver les modèles ?

Les prises de vue ont été faites soit chez le père, soit chez la fille. Ce sont des photos "posées", malgré les réticences de certains. Depuis plusieurs décennies, dans les familles, on fait beaucoup de photos mais il faut toujours qu'on ait "l'air naturel", qu'on ne "pose" pas. Moi, au contraire, j'arrivais avec le 6 x 6 et le trépied, ce qui mettait en scène la séance avec un certain cérémonial. J'avais conscience d'induire une situation presque solennelle car j'attendais d'eux une vérité. Quant aux "modèles" - qui ne sont justement pas des modèles - ce sont avant tout des pères et filles de la vraie vie. J'en ai photographié une cinquantaine, au début parmi mon entourage proche, ensuite en allant chez des gens que je ne connaissais pas.

Sujet délicat et sensible, les relations père-fille - comme dans un couple - ne sont jamais linéaires. Quelles sont celles qui vous ont le plus émue ?

A chaque prise de vue, c'est une histoire différente. Entrer dans l'intimité d'une famille et vouloir capter ce que l'on a ressenti, c'est entrer dans l'émotion, comme un cadeau que les gens me faisaient. Un père s'est "vu" comme un père à la suite d'une séance de pose ; il a ressorti des photos de lui donnant le biberon à l'une de ses filles, et des photos de son propre père. Comme s’il prenait conscience en me les montrant qu'il n'était plus "fils de" mais "père de"...

La relation entre un père et sa fille relève souvent d'un défi : selon vous, est-ce un duo ou un duel ?

Accepter de poser et de montrer cette relation particulière - mais moins complexe peut-être qu'une mère et sa fille - c'était déjà accepter l'idée du duo. Quand il y avait "duel", il y avait refus de participer à ce projet. Mais peut-être que certaines photographies sont issues de la volonté de l'un ou de l'autre de montrer que le duel est terminé...

Des portraits et des scènes essentiellement en noir et blanc : que cherchez-vous à accentuer ?

J'aime le noir et blanc car il va à l'essentiel. Seule la lumière met en avant ou laisse dans l'ombre, sans jamais agresser car j'ai travaillé en lumière naturelle, sans flash ni éclairage spécial. Comme dans toute photographie, on est en dehors du temps et de l'espace ordinaires, le noir et blanc renforce cette notion.

 

Propos recueillis par Claire Gilly

"Moi" de la photo, jusqu'au 21 novembre 2002. 10, rue Bréguet, 75011 Paris